Snows avançait doucement parmi les grands arbres qui siégeaient dans la forêt des âmes tourmentées. Elle était fatiguée, car depuis la veille, elle n'avait pas réussi à fermer l'oeil et bien que sa nourrice du jour ait tenté de l'y obliger, elle n'était pas parvenue à ses fins. Car depuis quelques jours, la douce loupiotte avait un sommeil des plus agités et lorsque de vieux loups ne venaient pas lui rendre visite pour l'importuner, elle rêvait, non sans joie de monstres difformes et cruels s'avançant sur les terres de sa meute. Elle ne s'en doutait pas réellement, mais à force d'espionner les adultes qui ne craignaient l'arrivée d'envahisseurs, la petite noiraude s'imaginait le pire. Dans de nombreux songes, elle voyait ces derniers dévorer les autres louveteaux, dont sa jeune amie, Libellule. Mais elle voyait aussi son alpha mourir sous les coups de crocs gigantesques dans des éclairs blancs. Le pire restait la fin, lorsqu'elle s'apercevait qu'elle avait été la seule à être épargnée. C'était pire que tout.

Sans prêter attention à la racine qui sortait de terre, Snows se prit les pattes dedans et tomba au sol dans un bruissement léger alors qu'autour d'elle, quelques feuilles voletaient doucement. L'automne était proche ; elle le sentait qui arrivait, lentement, sournoisement. Mais elle ne s'en préoccupait pas vraiment pour le moment. Elle savait que la période de la famine arriverait et elle savait qu'elle devrait se battre pour survivre, mais pour l'instant, son esprit tout entier était préoccupé par les paroles des loups adultes. Elle ne savait pas trop quoi penser de ces bêtes qui s'aventuraient sur les territoires d'autres loups pour leur prendre proies et eaux. Elle se souciait davantage des siens que des autres et déjà elle s'imaginait faire face à l'un de ses monstres. Ses cauchemars en étaient d'ailleurs la preuve.  

Elle se releva en soufflant, sentant ses muscles faiblir et ses forces l'abandonner. Pourtant, elle refusait de dormir, craignant bien trop de se retrouver à nouveau plongée dans son subconscient. Alors, elle avait décidé de marcher, pour se rassurer elle-même, pour être certaine qu'elle ne craignait rien et que tout allait bien sur les terres des Kitmai. Elle se stoppa un instant pour reprendre son souffle et huma doucement l'air, la truffe en l'air, cherchant l'odeur des sentinelles de la meute. Il n'y avait rien qui puisse l'alerter même si elle ne trouva pas les odeurs qu'elle cherchait. Elle se remit donc en marche, avec un certain automatisme, continuant d'explorer la grande forêt qu'elle connaissait déjà plutôt bien pour son jeune âge. Elle ne s'autorisa qu'une petite pause dans une clairière pour faire un brin de toilette et profiter de la chaleur du soleil avant de reprendre la route, toujours à la manière d'un automate.

Au bout d'un moment, des bruits lui indiquèrent qu'un lapin ou un rongeur devait trainer dans les parages. Curieuse de nature et comme elle était encore jeune, elle se détourna de son objectif premier pour décider de courir après le petit animal qui bêtement, vint se jeter dans sa gueule. Alors qu'elle courait en direction des bruissements de feuilles,  l'animal surgit et elle ne compris pas vraiment ce qui se passa, mais par instinct sans doute, elle sauta sur lui, éraflant le lapin de ses minuscules crocs. L'animal s'enfuit, mais le goût du sang resta un instant dans la bouche de Snows qui ne put s'empêcher d'adorer cette nouvelle saveur. Jusqu'à présent elle ne goûtait qu'à de rare fois à un bout de viande et souvent, il était déjà mâché pour qu'elle puisse l'avaler sans s'étouffer. Le reste du temps elle avait droit à du lait et de l'eau. Basique et sans trop de goût.

Elle avança un peu et soudain, sa petite truffe lui indiqua qu'elle n'était plus seule. L'odeur était étrange et soudain lui revinrent en mémoire certaines paroles de siens. Tétanisée, elle s'immobilisa un instant aux aguets, tendant l'oreille et fixant les alentours, l'air alerte. Comme rien ne lui parvint, mais que l'odeur se faisait tenace, elle avança, peureusement, la queue entre les jambes et le ventre quasiment collé au sol. Puis, face à elle se présenta un autre louveteau qu'elle ne connaissait pas. Il ne faisait sans doute pas parti de la meute et se devait être pour ça qu'elle n'avait pas reconnu son odeur. Pas entièrement rassurée, elle se redressa tout de même légèrement et jaugea l'autre du regard. Il devait être un peu plus vieux qu'elle, vu sa taille et était très maigre, très fin. La noiraude songea qu'il devait venir du Canyon ou de ses alentours alors elle sourit doucement. Un sacré étranger sur ses terres !

" Salut toi ! "

Il avait vraiment un mauvais caractère, mais Snows ne s'en formalisa pas des masses. En fait, il avait un caractère détestable, si bien que si elle avait été adulte, elle l'aurait sans doute remis à sa place. Mais elle n'était pas adulte et en plus de ça, elle cru déceler, dans son comportement, la réaction typique qu'elle avait elle-même lorsqu'elle était prise en flagrant délit et qu'elle ne voulait pas s'avouer vaincue. En fait, elle avait même ce caractère régulièrement, très très régulièrement, la rendant parfois exécrable auprès de loups étrangers ou de louveteaux à peine plus vieux qu'elle au sein de la meute. Maintenant, elle comprenait à quel point cette attitude avait dû être désagréable pour les autres. En soupirant, elle avança de quelques pas de petite louve pour s'asseoir ensuite en face du louveteau et lui sourire de toutes ses petites quenottes. Elle n'allait pas lui en vouloir de se trouver une excuse pitoyable pour excuser le fait qu'il était encore trop jeune pour chasser convenablement sur des terres ennemies. Pas du tout même. Car c'était bien le genre de choses qu'elle aurait aimé faire si elle n'était pas surveillée en permanence par les loups Kitmai. A croire qu'ils craignaient tous qu'elle ne s'évapore subitement.

Elle resta muette un certain temps, se contentant d'observer -pas le moins du monde de façon discrète- le louveteau gris qui grognait comme s'il voulait se donner un air féroce. Pas impressionnée du tout par ce comportement qui se voulait agressif -mais qu'elle devinait purement défensif- elle bailla même après être restée un certain temps sans bouger et se lécha la truffe pour l'humidifier. Elle sursauta presque en rencontrant sur ce dernier le goût alléchant du sang qu'elle avait eut dans la bouche quelques temps auparavant. Ma fois, agréablement surprise, elle ne put que sourire doucement, avant de toiser l'autre du regard. Il ne semblait toujours pas enclin à lui faire une grande conversation, mais elle s'en moquait un peu. Elle jappa doucement avant de se relever et d'un pas joyeux bien que fatigué, elle se rapprocha davantage. Lorsqu'elle fut bien en face de lui, elle s'assit de nouveau.

" Dis-moi, tu viens bien du Canyon non ? Les grands disent que c'est assez loin, tu n'es pas un peu fatigué ? Tu es venu tout seul ? Parce que, tu sais, en général les grands n'aiment pas qu'on vienne sur les terres de la meute, ils tuent les étrangers même. T'as l'air gentil, mais si t'es méchant avec moi, je pense qu'ils te tueront. Les grands j'veux dire. "

Elle pencha ensuite la tête sur le côté, comme une gosse curieuse. Il lui arrivait d'être bavarde, parfois, lorsqu'elle se sentait d'humeur à discuter avec le premier inconnu croisé par exemple. Puis, il n'avait pas l'air si méchant à ses yeux. Bien qu'un peu bourru dans sa façon de parler. Mais elle ne pouvait pas le juger sur ça, peut-être que lui non plus n'avait pas eu de maman pour lui apprendre les bonnes manières. Sa queue qui frappait le sol depuis quelques secondes se stoppa, et, les oreilles plaquées sur le sommet de son crâne, elle regarda l'autre avec peine.

" Toi non plus t'as pas de maman ? La mienne elle est plus là. "

Triste réfléxion d'une enfant dévorée par le système de recrutement parfois cruel des Kitmai.