Nevada. Sans un souffle, sans un bruit, sa silhouette décharnée glissait dans la nuit. Elle était respectée autant que crainte et dans le silence s'échappait sa complainte. C'était cette louve grande et puissante, c'était cette louve grande et importante. Des Redwood elle était l'alpha et la justice guidait ses pas. A l'allure d'un monstre sanguinaire, son odeur laissait dans l'air, un souffle de nacre, un souffle de paix, pour la plus bellâtre des loups du conté. Ce soir l'animal sans forme à l'allure si particulière avait quitté la protection de sa meute pour s'aventurer seule et en solitaire aux abords des terres appartenant aux loups errants. Elle était ici pour trouver la paix et aussi pour se reposer. Elle avait longuement médité ce matin encore, mais l'agitation de la meute et les tâches qu'elle devait accomplir l'avait très vite sortie de cet instant de détente et de méditation pour la ramener sur terre et lui faire comprendre qu'elle n'était pas là pour rêvasser. Alors, elle avait attendu le soir et après avoir souhaité bonne nuit à chacun des membres de sa grande famille, elle était partie, loin, loin des siens pour s'offrir cet instant si recherché.
Elle s'était promenée longtemps, évitant bien évidemment les zones à risque pour se retrouver ici, loin de tout et à l'abri des regards indiscret d'un monde hostile et dangereux et avait bu un temps à cette source d'eau nommée la rivière sans nom. Puis, après ça, elle s'était couchée dans l'herbe grasse, non loin et avait fermé les yeux pour laisser venir à elle le doux son de la faune et de la flore, qui, autour d'elle, continuait son cycle infernal. C'était beau, c'était calme, c'était loin de tous les problèmes auxquels sa meute faisait face et ça lui faisait énormément de bien.

Cependant, elle n'était pas là pour se tourner les pattes. Elle devait songer à beaucoup de choses, comme à la nourriture qui se faisait de plus en plus rare sur les terres Redwood. Il y avait des prairies et de rares coin d'eau, mais il y avait trop de prédateurs, trop de loups et les animaux, terrifiés n'avaient plus qu'une idée, fuir les terres pour partir ailleurs. Sur les territoires Wind par exemple. Les loups de cette meute disposaient d'un territoire regorgeant d'eau, de poissons, mais aussi de proies qui n'hésitaient pas à y venir en masses. Longtemps, Nevada avait refusé que l'on s'approche de ses terres là, mais la faim la rendait parfois moins autoritaire et à de nombreuses reprises, ses loups avaient frôlé les terres étrangères. Ca n'était pas bien, ça n'était pas respectable, surtout venant de sa propre meute et elle n'aimait pas du tout la tournure que prenaient les choses autour d'elle. C'était vraiment désagréable de constater que peu à peu, les problèmes de chacun envenimaient la situation, rendant les liens entre chaque meutes de plus en plus distants et les tensions de plus en plus importantes. Elle avait mal, la belle rousse, lorsqu'elle voyait les siens se déchirer et s'affronter pour un lapin. Elle avait mal lorsqu'on lui annonçait qu'il n'y aurait sans doute pas de petits cette année.

Dans un soupire d'injustice et de dépit, elle rouvrit ses yeux et son regard perçant observa les alentours. Durant son chemin, elle n'avait croisé aucun animal, aucun rongeur. Elle n'avait pas vu les grands herbivores dont lui parlait parfois les loups plus vieux qu'elle. L'ocre et le pourpre de ses pupilles se posèrent sur l'herbe. Elle était là pourtant, la source de nourriture de leur proies, alors où étaient-ils donc parti ? Tous n'avaient pas pu fuir jusqu'aux terres Wind, il y avait forcément une autre explication. Mais cette autre explication, elle refusait d'y croire, elle refusait de l'admettre. Les loups avaient chassé pendant trop longtemps sans se soucier de leurs descendants. Ils avaient mangé et fait couler le sang sans se soucier qu'ils se nourrissaient là de bête qui plus tard auraient pu nourrir leurs enfants et leurs petits enfants. Elle, Nevada, elle avait connu cette période où on lui apprenait à chasser sur des proies qu'on tuait sans prendre la peine de manger ensuite. Un gâchis considérable. Quand les loups étaient-ils devenu aussi stupides ?

► Approche. J'ai senti ton odeur.

Si timide soit-elle, la créature avait tout intérêt à approcher. Nevada n'était pas une louve patiente. C'était un fin mélange de terre et d'herbe, quelque chose qui lui semblait familier sans pourtant l'être. L'animal ne venait pas de sa meute, sinon, elle s'en serait rendu compte bien avant. Depuis quand était-il là à l'observer ainsi ? Sans doute ne se serait-elle pas aperçue de sa présence si le vent n'avait pas tourné. Sans prendre la peine de se relever, elle resta couchée là, observant simplement le nouveau venu. Elle, elle n'était que paix et sagesse ce soir et elle espérait secrètement qu'il en serait de même pour l'inconnu.

« C'est l'extase langoureuse, C'est la fatigue amoureuse, C'est tous les frissons des bois Parmi l'étreinte des brises » ► VERLAINE